Boîte à son #1 : Heroes of might and magic II – Du son qui brille!

Aujourd’hui nous allons écouter les sons scintillants de Heroes of Might and Magic II. Nous aborderons ainsi les questions de l’imaginaire des sons et la manière dont le son peut être utilisé pour décrire des paysages au travers d’un medium assez représentatif de l’esthétique kitsch des anciens jeux-vidéo situés dans un univers médiéval fantastique: j’ai nommé les pierres précieuses.

Sorti en 1997, le jeu de 3DO et de Van Canenghem se voulait la suite directe du premier opus, mais en plus beau, avec plus de factions, plus de cartes, plus de sorts, bref, une sorte de version améliorée. Il s’agit d’un jeu de stratégie au tour par tour se déroulant dans un univers héroic fantasy où mages, barbares, sorcières, chevaliers et nécromants s’affrontent en cherchant à capturer les châteaux adverses pour pouvoir éliminer toute concurrence. Le jeu vous permet ainsi de construire et développer des châteaux pour les défendre, apprendre des sorts, recruter des troupes, rassembler des information sur vos ennemis ou encore échanger des ressources au marché, au prix d’une somme d’or et de certaines ressources. Outre le bois et le minerai, les ressources basiques, le joueur peut également acquérir du soufre, du cristal, des pierres précieuses et du mercure.

Autant le dire, l’esthétique kistsch du jeu ne lésine pas sur les matériaux précieux, que ce soit dans l’interface, dans l’habillement des héros, ou dans le design des créatures que vous pourrez recruter. Cette profusion donne quelque chose de luxueux à l’univers du jeu, d’autant plus que les sprites des créatures sont de toute beauté : c’est tout le jeu qui évoque la préciosité et les différentes nuances et profondeurs de la pierre. Mais le visuel n’est pas le seul à donner cette impression d’ensemble : il est servi de manière très adroite par la bande-son composée par Paul Romero.

Écoutons d’abord les sons joués lorsque le joueur s’empare d’une ressource sur la carte. Ces sons sont joués aléatoirement quelle que soit la ressource que vous prenez, parmi sept possibilités (il y a sept ressources dans le jeu, logique!)

En écoutant ces sons, on peut s’imaginer qu’ils sont le reflet de différents états de la pierre. Ces différences sont liées à de multiples facteurs sonores parmi lesquels on peut retenir l’attaque du son – tantôt proche de la guitare pincée, tantôt évocatrice du clavecin, tantôt semblable à la harpe – la réverbération, qui détermine si un son est sec ou plus rond, la hauteur du son, les effets qui lui sont apposés sous forme de vibration dans la hauteur ou dans la qualité même du son, le nombre de notes jouées, la rapidité, le rythme ; tous ces paramètres peuvent être mis à profit pour imaginer une sorte d’objet précieux.

Certains sons, plus stridents font penser à une pluie d’or, tandis que d’autres ont une profondeur (grâce à la réverbération et la longueur du son) que l’on ne peut trouver que dans certaines pierres précieuses ; certains font penser à une forme brute et anguleuse (avec une attaque très marquée) tandis que d’autres ont une forme de rondeur et de douceur qui peuvent évoquer la perle. Enfin, certains, très aigus et très clairs, évoquent le scintillement même de la pierre précieuse.

Lumière, mouvement, matière, transparence, tous ces états de la pierre sont évoqués à l’aide de quelques sons qui sont autant d’esquisses et de jeux de lumière.

Mais cet imaginaire des matériaux précieux ne s’arrête pas là. Les musiques du jeu, et en particulier les musiques environnementales, associées au type de terrain que le joueur peut explorer, semblent transposer cet imaginaire dans le cadre de la nature. C’est en réalité tout l’éventail des cordes pincées (harpe, guitare, clavecin) qui contribue à cette impression : si la plupart des instruments peuvent traduire une forme de lumière, ce sont les cordes pincées permettent de retranscrire le plus clairement l’idée du scintillement ou du reflet brillant de lumière sur une surface, qui peut transformer n’importe quelle matière en un matériau précieux.

Le clavecin peut ainsi servir à décrire les couleurs éclatantes et l’émeraude de la végétation sous le soleil, alors que la harpe peut évoquer la lumière inquiétante de la lave qui s’écoule avec lenteur comme un rubis sombre. Le piano peut parfois prêter main-forte à cet ensemble de cordes pincées : utilisé dans des tons assez hauts, il décrit le roulement des vagues quand la harpe, dont la mélodie semble osciller sans cesse, ressemble au scintillement erratique de l’eau toujours en mouvement (le morceau n’est pas présent au format midi, il peut être écouté ici ; ce sont également les notes aiguës du piano qui décrivent la chute lente et pure de la neige dans un paysage silencieux.

Cette dimension sonore fait de Heroes of might and magic II reste un de mes jeux favoris dans la série des Might and Magic, parce qu’elle permet au joueur de laisser libre cours à des rêveries. D’une certaine manière, l’aspect graphique répond à l’aspect sonore dans la mesure où le son à un côté « pixelisé » (dans le cas de la bande-son au format MIDI), comme un assemblage de sons qui finissent, par effet d’ensemble à ressembler à une vraie musique instrumentale. Ici, ce n’est pas tant la ressemblance effective d’un son avec un instrument qui permet de l’associer à ce dernier, mais plutôt une sorte de grain qui est comme le contour du son, ce qu’on peut appeler l’attaque.

L’impression générale qui ressort du jeu est ainsi très particulière : cet orchestre nanifié, associé aux sprites des créatures et à l’aspect général du jeu créent une sorte d’univers miniature. En d’autres termes, le jeu nous invite à nous plonger et à nous reposer dans sa trame, comme une sorte de maison de poupée, ou encore comme une gemme dans laquelle le regard irait s’absorber (c’est d’ailleurs là une qualité propre à la pierre précieuse : d’être fascinante). Bachelard disait ainsi, dans La Terre et les rêveries du repos : « Le minuscule, c’est l’énorme ! » Pour en être sûr, il suffit d’aller en imagination y habiter. Un sujet de Desoille, contemplant la lumière unique d’une pierre précieuse, dit : « Mes yeux s’y perdent. Elle est immense et pourtant si petite : un point » (Le Rêve éveillé en Psychothérapie, p. 17) »1. La pierre précieuse, c’est ainsi la miniature, mais aussi la maison rêvée de l’enfance.

1.
Bachelard G. La Terre Ou Les Rêveries Du Repos. Librairie José Corti; 1948.

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